dimanche 7 juin 2015

Anachroniques urbaines

Je suis allé chez un psy spécialisé en névroses et psychoses liées à la pratique ou à l'intérêt pour l'agriculture urbaine, au 83 rue de la Charrue. J'étais pour ma part atteint d'un mal rare pour ma condition de responsable jardinier-chevrier d'une association de Bagnolet (93) : je n'arrive pas à dire "Agriculture urbaine"; l'écrire, encore ça va, mais le dire ... Bon, pis, j'vous parle même pas du reste de la série des concepts fers de lance de la ville de demain: participatif, contributif, création de lien social, nature en ville, vivre ensemble, etc.

Je n'avais ni honte, ni peur, de me confier à cet expert, je me sentais simplement un peu seul. Je me demandais pourquoi ce terme d'agriculture urbaine me gonflait autant et pourquoi il me hérissait autant le poil et celui de mes chèvres, d'entendre parler de berger urbain, de paysan ceci, paysan cela; pourquoi le champ lexical ou le ton du discours des stars et des fans de l'agriculture urbaine me bourraient autant le mou, et, me ramenait aussi subrepticement vers le monde de la publicité. J'avais vraiment besoin d'un psy.

Ce fossé qui se creusait à coup de légumes par-ci, moutons par là, entre mes présupposés confrères, et moi, se devait d'être exploré et fouillé. Où est la part d’ego dans tout ça, dans tout ces p'tits projets qui deviennent nos étendards? Enfin, sans déconner, on se sent paysan ou pas, on en fait pas un flan. On fait des trucs avec, ou sans les tripes. On vit avec ses bêtes, avec sa terre, et pis l'reste du temps, on les amène partout où on va dans not' caboche.
Bon vous voyez quoi, j'commence à lui raconter c'genre de truc au psy, allongé sur un divan de récup de la marque "Get free", et pis d'autres encore. Et j'vois que ça l'accroche, qui comprend pas tout à fait mon délire et que ça lui laisse l'espoir d'un nouveau scénario  à élucider et que ça lui fera bien passer l'heure qui reste.


Et en fait, j'lui dis grosso modo, c'que j'dis à tous ceux qui me parlent de tondeuse écologique et de berger urbain (cf article sur ce blog "Discussion entre un berger et son troupeau"). Que nos bêtes ne sont ni des tondeuses ni des écolos, mais bien des herbivores qu'ils faut bien nourrir, plutôt que de leur faire faire de "l'entretien"; et que s'il y a des écolos dans le lot, à la limite c'est nous, et nos choix de conduite du troupeau et de ses pâturage. J'lui fait remarquer que c'est drôle comme tout ce qui se passe en ville attire tous les fins limiers de l'air du temps; comme si y avait des choses à pas rater, pour que le mythe du progrès, version hipster cette fois, continue à jouer son rôle. Petit jardinier-chevrier de banlieue, banlieue mon amoure, me voilà Berger urbain. Ouah, la classe, ça fait rêver! Mais pourquoi?

Réponse numéro 1 : Parce que la ville et certains quartiers sont considérés comme tellement pourris qu'on en croit pas ses yeux quand il y a émergence de formes culturelles
Réponse numéro 2 : Parce que le politique tente de récupérer tous les mouvements émergents, et les transforme en spectacle qu'il fabrique et propage grâce au médias et à toute une armada culturelle et scientifique qui  fait le travail de conceptualisation de ce qui n'était que forces vives et pratiques
Réponse numéro 3 : Parce qu'un troupeau qui se balade, où qu'il soit, ca laisse jamais indifférent l'animal qui est en nous, et l'humain qui est dans cet animal

Et plus j'parlais, plus j'me sentais convaincu de c'que j'racontais; et  j'm'en suis rendu compte et j'me suis dit "merde, ça craint là, le psy, y va sortir un truc ..." Et puis non rien, y  m'regarde, avec un regard de psy, il hausse des sourcils interrogateurs, et il laisse remonter un autre truc en toi que tu vas finir par lui cracher. Et ça marche.

Ooh la la, l'agriculture urbaine, c'est un truc qui faut pas prendre à la légère. y parait que c'est une question sérieuse; l'genre de truc qui peut sauver le monde et racheter nos âmes souillées par les excès. Ça fout grave la pression leur délire. Y a des réunions, des ateliers ou encore des conférences-débats où tu te demande où est ce que tu as mis les pieds, tellement tu te sens seul. C'est pour ça qu'c'est bien d'être en asso et d'pouvoir réussir à se caler à plusieurs grâce à des intuitions communes.






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1 commentaire:

Tibar a dit…

Bonjour,

Je vous ai écouté attentivement il y a quelques temps lors d'une rencontre sur "l'agriculture urbaine", et votre propos m'a réveillé et intéressé!
Il y avait peu/pas de paysan, de jardinier, d'éleveurs ou de d'agriculteur ce jour là, un comble pour ce type de rencontre, passons...
Vous faisiez un parallèle avec la campagne, les "communaux", les villages, les villageois, et j'avais envie de vous écrire...Je travaille sur les problématiques agricoles depuis quelques temps, donc j'observe, je visite, je rencontre, j'analyse, et je me tire les cheveux!
J'imagine que vous avez pratiqué les espaces ruraux que vous évoquez, et il existe parfois encore, dans quelque territoire, ce type de fonctionnement local et de solidarité paysanne, mais ce n'est pas la norme...loin de là...
Aussi je comprends cette comparaison, elle illustre votre propos, elle le met à portée de tous, mais la réalité que vous décrivez existe peu ou proue... et si votre projet rejoint certains principes du "bon sens rural paysan", je souhaitais vous dire que votre projet n'a rien à envier aux campagnes! Je suis depuis cette rencontre votre blog et j'y vois une rare expérience qui réinvente vraiment l'agriculture, son rapport au territoire et aux humains qui l'habitent.

Bravo à toute l'équipe du projet!

Ps: Voici une expérience portée par des amis qui poursuivent eux aussi une autre idée de l'agriculture et du territoire: http://pasthorizonloire.blogspot.fr/

Salutations pastorales!